INFORMATIQUE ALTERNATIVE
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25/08/99 00:39 b.collet : »
Avant Internet, la création du monde...

 

Au début, il y avait le néant. On l'appelait "zéro". On ne pouvait pas faire grand'chose avec zéro. On pouvait le contempler, on pouvait le soupeser, on pouvait tendre l'oreille pour l'écouter. Mais le néant se refusait obstinément à être quelque chose. Même pas le vide. On ne voyait rien, on n'entendait pas la mer quand on l'approchait de son oreille.

Ce n'est que beaucoup plus tard que la situation évolua. Tout commença lorsque Adam et Eve débarquèrent sur terre, par le vol direct AF747 (départ Paradis terminal B 18h00, arrivée quelque part en Afrique 21h30). Adam, qui était plutôt manuel, s'occupait en bricolant. Mais Eve, qui était spécialiste en programmation récursive au Paradis, s'ennuyait ferme.

Un matin, elle remarqua une sorte de pendentif qu'Adam avait bricolé avec deux bouts de bois et de la colle rapide. Une sorte de barre verticale, avec une deuxième barre plus petite, formant un angle aigu avec le sommet de la première. "Un" dit-elle. Tu m'entends, Adam? On va l'appeller "un". Mais Adam n'entendait pas, absorbé qu'il était par le démontage du carbu de sa moto.

Eve était contente de pouvoir s'occuper avec autre chose que le néant. Elle pouvait contempler son bâton, le lancer en l'air, le tremper dans l'eau, puis le sécher au soleil. Elle le rangea à côté du néant, et regarda successivement les deux: zéro, puis un; zéro puis un; etc...

Elle prit soudain conscience que l'arrivée de "un" lui permettait de choisir entre plusieurs choses. Elle voulut faire part de sa nouvelle alternative à Adam, mais celui-ci s'en foutait, absorbé qu'il était à pester contre le gicleur qui était bouché. J'appellerai cela "bit" décida-t-elle, car elle était portée sur la chose.

Prenant un bout de fil de fer qui traînait dans la caisse à outils, elle le tordit en une sorte de S à l'envers. "Deux" cria-t-elle, j'ai inventé le "deux". Heureuse, Eve rangea le fil de fer à côté du bâton et du néant. Elle sentait confusément que cela lui ouvrait de nouvelles possibilités, mais elle ne savait pas exactement lesquelles. Ah, si j'avais une prise pour brancher mon portable, soupirait-elle. Mais les prises de Terre n'étaient pas normalisées, comme au Paradis.

Elle prit trois tournevis dans la boîte à outils et voulut les disposer en une figure régulière. Mais comme elle n'était pas très à l'aise dans les travaux manuels, elle aboutit à une sorte de triangle avec deux côtés qui dépassaient. "Quatre", dit-elle, en allant ranger les tournevis à côté du fil de fer, du bâton et du néant. Elle s'arrêta là car il était tard et elle se sentait un peu fatiguée.

Le lendemain matin, pendant qu'Adam était parti se tirer une bourre sur l'autoroute, elle reprit son jeu. A midi, Eve avait inventé le huit, le seize, le trente-deux, le soixante-quatre, le cent-vingt-huit, etc... jusqu'au soixante cinq mille cinq cent trente six, qu'elle trouvait un tantinet encombrant. Elle se demandait si elle aurait assez de temps pour finir le jeu avant le soir. Mais comme c'était, rappelons-le, une grande spécialiste des procédés récursifs, elle sentait confusément qu'elle n'arriverait pas au bout, ni en un jour, ni en un an, ni jamais.
Ainsi naquirent les nombres entiers.

Lorsqu'Adam rentra et trouva la boîte à outils vide, il entra dans une colère homérique. Eve eut beau lui dire que c'était Serpent qui avait fait des siennes, il ne voulut rien entendre et envoya tout balader en l'air. Dépitée, Eve ramassa la courroie de ventilateur qu'elle avait croisée pour faire "huit". Dans sa colère, Adam l'avait aplatie et elle ne tenait plus debout. Eve la posa sur le côté, en se disant qu'elle n'était vraiment pas faite pour les travaux manuels, et qu'elle pouvait très bien continuer son jeu dans sa tête, le soir au lit par exemple, puisqu'Adam était toujours fatigué.
Ainsi naquit l'infini.

La découverte d'Eve eut quelques conséquences sur l'histoire de l'humanité. Les nombres entiers permirent l'invention des livres d'arithmétique, de la calculette, de l'IBM 360, de X-Windows, de Linux, et d'Internet.

C'était sans compter sur l'esprit malin de Serpent, qui prétendit améliorer l'invention d'Eve en ajoutant, pour combler les trous disait-il, des nombres comme "3", "5", "6", "7", "9", et aussi "1048575". Il disait qu'avec le système original, on ne pouvait même pas compter les doigts d'un main, et que cela le gênait. On avait beau lui dire que ça n'était pas fait pour ça, que de toute façon les serpents n'avaient pas de main, il ajouta même "virgule" pour couper les cheveux en quatre.

Non seulement cela défigurait l'élégante construction d'Eve, mais cela donna naissance à toutes sortes d'inventions nuisibles comme la TVA, l'impôt sur le revenu, le prêt à remboursement progressif, les erreurs de troncature, et Windows 95.

Eve en pleura. Adam s'en foutait. Il disait qu'il avait assez de problèmes comme ça avec son embrayage. Ayant bricolé un adaptateur pour son portable avec ce qui restait de fil de fer, elle expédia un mail qui disait ceci:

>From: eve@terre
>To: worldmaster@paradis
>Subject: Mission Terre
>
>Impossible de continuer dans ces conditions.
>Rappellez immédiatement
>Serpent au siège, et changez-moi ce crétin de mari,
>ou j'rentre par le premier vol direct et j'demande une nouvelle affectation.

Hélas. Serpent avait fichu un tel souk que le mail n'arriva jamais au Paradis, et que la carte de crédit d'Eve fut refusée par le terminal de l'aéroport avec le message "Puce pleine". L'histoire se finit tragiquement : Adam dut revendre sa moto pour payer son premier tiers provisionnel. Eve sombra dans la dépression.

Un autre livre a raconté cette histoire un peu différemment...